Un équilibre artificiel financé par des réserves

Le budget 2026 de l’État du Valais affiche un équilibre formel, respectant les freins à la dépense et à l’endettement. Mais pour le groupe PLR, cette stabilité est largement illusoire. Sa cheffe de groupe au Grand Conseil, Sonia Tauss-Cornut, critique une gestion reposant sur un recours massif aux réserves, et une croissance incontrôlée des charges. Entretien avec celle qui s’est exprimée au nom du PLR au Grand Conseil, avec un appel à une «vraie rigueur budgétaire» avant que la conjoncture ne se retourne.

Madame Tauss-Cornut, le Conseil d’État présente un budget équilibré. Pourquoi votre groupe parlet-il d’équilibre artificiel ?

Parce que cet équilibre ne tient que grâce à des artifices comptables: le gel de l’alimentation de plusieurs fonds spéciaux, la réévaluation optimiste des recettes fiscales basée sur la très bonne année 2024, des prélèvements sur les fonds propres de l’État, et un encaissement hypothétique de la BNS. Ce ne sont pas des recettes pérennes, mais des rustines.

Est-ce si grave si le budget reste formellement dans les clous, donc respecte le double frein ?

Oui, parce que l’équilibre est fragile. Il masque une dynamique de dépenses qui nous inquiète: le budget a augmenté de 215 millions en un an. Depuis 16 ans, les charges ont crû de 70 % alors que la population n’a augmenté que de 25 %. On ne peut pas faire comme si cela était soutenable à long terme.

Les charges de personnel sont également pointées du doigt. Pourquoi ?

Elles atteignent 1,2 milliard de francs, un niveau record, en hausse de 49 millions en un an. Parmi ces hausses, 43 équivalents plein temps ont été créés sans décision parlementaire, ni autofinancement. C’est problématique. Le groupe PLR a déposé un amendement pour en supprimer 20, faute de justification suffisante. On parle ici de 4 équivalents plein temps attribués directement aux 5 départements. C’est une forme d’arrosoir…

N’est-ce pas un besoin réel, notammentdans les domaines sociauxou dans la formation ?

Il ne s’agit pas de s’opposer à la fonction publique, ni de remettre en question les tâches de l’Etat, mais de demander qu’avant de créer des postes, on réorganise et on priorise. Le rapport Efficience+ a identifié 267 postes pouvant être libérés. Ce ne sont pas des licenciements, mais des redéploiements.

Où en est-on ? Quelles mesures concrètes ont été appliquées ? Rien de tout cela n’a été fait.

Sur les recettes fiscales, vous êtes également sceptique ?

Oui. La hausse de 4,3 % repose exclusivement sur les bons résultats de 2024. Mais le CREA annonce un indicateur conjoncturel à la baisse en Valais, avec une probabilité de récession de plus de 90 %. Miser sur une croissance des recettes dans un tel contexte, c’est dangereux.

Autrement dit ?

Le CREA (Centre de Recherche Économique Appliquée) est un institut de la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne. Il publie chaque mois un indicateur conjoncturel qui mesure l’état de santé économique de chaque canton suisse. Ce n’est donc pas une estimation à prendre à la légère. Le CREA indique que le Valais est actuellement le canton le plus exposé au risque de récession en Suisse. Cela signifie que l’économie valaisanne tourne en dessous de son potentiel, notamment parce que les entreprises hésitent à embaucher et anticipent un ralentissement général.

Vous critiquez aussi le recours aux réserves. Pourquoi ?

Parce que la réserve budgétaire devrait tomber à 29 millions en 2029. Dans le même temps, 70 millions sont prévus pour l’Hôpital du Valais. Ce n’est pas conforme à la finalité de cette réserve, qui est censée couvrir l’imprévu. En l’utilisant pour financer l’ordinaire, on affaiblit notre capacité de réaction.

Et sur les investissements ?

Ils sont très importants: 351 millions si on cumule les investissements directs et ceux du FIGI (Fonds pour les investissements des grands immeubles). Mais la marge d’autofinancement ne suit pas: elle n’est que de 124 millions. Nous vivons au-dessus de nos moyens. C’est une réalité qu’il faut regarder en face.

Quelle voie proposez-vous ?

Un programme d’économies structurelles. Un moratoire sur les engagements. Et surtout l’application réelle du rapport d’efficience. Il est temps de choisir, de hiérarchiser, de prioriser. L’argent public n’est pas infini. Et non, ce n’est pas au contribuable valaisan de compenser une gestion laxiste.

Le PLR est souvent accusé de s’opposer systématiquement à la dépense publique. Que répondez-vous ?

C’est faux. Nous défendons la rigueur, pas l’austérité. La justice sociale dépend de finances solides. Ce n’est pas populaire de le dire, mais c’est notre responsabilité. Il faut du courage pour aller à contre-courant et poser les bonnes questions avant qu’il ne soit trop tard.

La suite ?

Le Grand Conseil devra valider ou corriger le budget 2026 lors de sa session de décembre. Plusieurs propositions d’augmentation sont déjà sur la table, représentant potentiellement 3 millions de dépenses supplémentaires et 5 EPT de plus. Pour le PLR, chaque ajout devra être rigoureusement justifié.

Selon vous, qu’est-ce que sont des finances saines pour un canton comme le Valais ?

Ce sont des finances qui garantissent une véritable marge de manoeuvre à très long terme. Pas seulement pour boucler l’année prochaine, mais pour affronter les crises, financer les priorités futures et rester maître de ses choix. Lorsqu’un budget est construit sur des recettes incertaines et un recours systématique aux réserves, on perd cette capacité d’anticipation. On le voit très bien à l’étranger, notamment en France, où l’absence de maîtrise budgétaire conduit à une dérive totale. Notre responsabilité politique est de ne pas en arriver là.