Sylvie Masserey Anselin, pourquoi le groupe PLR s’est opposé à la proposition de lancer un référendum cantonal contre l’imposition individuelle ?
Parce que ce référendum n’a rien à voir avec les intérêts réels du canton. L’esprit d’un référendum cantonal, c’est de permettre aux cantons de faire entendre leur voix lorsqu’une décision fédérale les désavantage clairement. Ici, ce n’est pas le cas.
Le Valais n’a rien à perdre avec cette réforme. Ce sont des partis, notamment l’UDC et Le Centre, qui refusent le projet au niveau fédéral et tentent maintenant de l’enterrer par des moyens détournés, en instrumentalisant notre canton.
Vous considérez donc que ce débat est davantage politique que fiscal ?
Il est profondément politique, mais aussi sociétal. En 1971, les femmes ont obtenu le droit de vote. En 1988, le droit civil a aboli le statut du mari comme «chef de famille». Et pourtant, notre système fiscal reste figé dans une autre époque. L’imposition conjointe continue de considérer les femmes comme des revenus secondaires, dépendantes de leur conjoint. Tant que la fiscalité ne suit pas, l’égalité reste incomplète.
Quels effets concrets aurait l’imposition individuelle selon vous ?
Elle rétablit la cohérence. Elle permet à chaque personne d’être reconnue comme contribuable à part entière. Elle valorise le deuxième revenu – souvent féminin – aujourd’hui pénalisé. Cela signifie plus de participation au marché du travail, jusqu’à 44’000 emplois supplémentaires à l’échelle nationale. Ce n’est pas seulement une réforme fiscale, c’est une réforme sociale et économique majeure.
L’argument souvent avancé est celui d’une surcharge administrative importante pour les cantons. Que répondez-vous ?
C’est un mythe. Lors du passage à l’imposition annuelle, le nombre de dossiers avait doublé, sans provoquer de chaos. Oui, il y aura plus de déclarations à traiter, mais on évitera aussi les complications liées aux mariages, divorces ou décès. Personne ne naît marié. On impose chacun comme individu, de manière claire et durable. Ce n’est pas une complication, c’est une clarification.
Quelles sont les conséquences pour la fiscalité ?
Près de la moitié des contribuables verront leur charge fiscale diminuer. Ceux qui paieront un peu plus sont principalement les hauts revenus bénéficiant aujourd’hui d’un traitement très favorable. Mais les grands gagnants seront les femmes, la classe moyenne, les couples à double revenu, les familles modernes, et surtout les retraitées qui, en moyenne, touchent 20’000 francs de moins par an que les hommes. Ce n’est pas une fatalité. C’est le produit d’un système qui a freiné leur indépendance. Il est temps de corriger cela.
Un mot sur l’argument de la défense de la «famille», avancé par certains élus ?
C’est une vision figée de la famille. Aujourd’hui, un mariage sur deux se termine par un divorce, y compris chez les conservateurs. Prétendre défendre la famille en maintenant une fiscalité qui rend la femme dépendante, c’est nier les réalités de la société. L’imposition individuelle donne aux femmes une vraie autonomie tout au long de la vie. C’est cela, défendre la liberté.
Vous avez perdu pour seulement deux voix au Grand Conseil. Comment avez-vous vécu ce vote ?
C’était très tendu. Il y avait un clivage assez net entre les partis : le Centre et l’UDC étaient résolument contre, mais ce n’était pas un non assumé. On sentait que ce débat dérangeait. D’ailleurs, plusieurs femmes issues de ces mêmes partis m’ont confié ensuite, en privé, qu’elles étaient favorables à l’imposition individuelle, mais qu’elles ne voulaient pas aller contre la ligne de leur parti. Cela en dit long sur les blocages culturels qu’on affronte encore aujourd’hui.